Dessin de couverture, Calypso.
Je m’appelle Jean Pillon, je vous présente tout de suite mon père car c’est son histoire que je vais vous raconter. Pierre Pillon est né le 18 octobre 1881 à Eréac dans les Côtes-du-Nord. Sa mère s’appelait Adèle Nicolas et son père s’appelait lui aussi Pierre, il était instituteur. Plus tard, il se marie avec Marie-Françoise Lucas à Pluduno en 1907, il fait la classe dans cette commune d’octobre 1900 à Août 1907. Moi je suis né le 2 juin 1908.
En 1907, mon père est nommé à l’école des garçons de Dinan
et ma mère à celle des filles de la rue de la Garaye. C’est à la maternelle de
cette école que j’irai en 1910.
Nous habitons dans les étages de l’école Chauffepieds où ma
mère travaille à partir de 1908.
Mon père a la classe du cours élémentaire. Dans sa classe de CE2, il y a 40 élèves, c’est beaucoup ! Il a comme directeur M. Honoré le Dû. C’est une belle école avec des tilleuls dans la cour mais mon père ne va pas y rester longtemps !
Au début du mois d’août 1914, la guerre est déclarée. Mon
père avait fait son service militaire à St Malo du 14 octobre 1902 au 12
septembre 1903 au 47ème
Régiment d’Infanterie. Il a maintenant 33 ans. Nous sommes le 12 août et
il part de la gare de Dinan pour rejoindre le 25ème Régiment d’Infanterie
à Cherbourg.
Nous étions si heureux tous les trois ! Il va nous manquer et on va
lui manquer aussi…Maman est fatiguée, elle va bientôt accoucher. Papa ne sera
pas là à la naissance du bébé qui arrivera le 21 septembre 1914… Mais il faut
défendre la Patrie !
Dans le régiment de papa il y a 3307 hommes, lui est soldat de 2ème classe.
Chaque fois que l'on reçoit des cartes, on ne voit que des villes détruites !
Il envoie des photos comme celle où il regarde les lignes ennemies, bien caché derrière des murs solides faits avec des briques qu’ils ont repris d’une vieille maison.Sur cette autre photo, il est avec ses camarades au fond d’un trou formé par une bombe. On le reconnaît bien au milieu, avec sa moustache.
C’est la première bataille le 22 août, une terrible bataille et à l’appel le soir 1200 hommes manquent, beaucoup d’officiers aussi sont morts (extrait de l’histoire du 25ème RI).
Papa écrit beaucoup comme ça je peux savoir
comment ça se passe pour lui. Il m’écrit que la nourriture n’est pas bonne,
contrairement à celle de maman. Je n’ai que 6 ans mais moi aussi, je lui écris.
J’ai reçu une lettre le 16
novembre 1914. Papa me dit que c’est gentil que je pense à lui. Il me
recommande d’être bien sage et obéissant sans cela il ne me rapportera pas un
beau casque à pointe, un casque de boche. Il le garde dans son sac.
21 décembre 1914. « Nous avons tué beaucoup de Prussiens et nous avons fait beaucoup de prisonniers. Tu en verras peut-être arriver quelques uns à Dinan. En as-tu vu quelquefois ? »
23 décembre 1914 « C’est demain que le père Noël fait sa tournée dans les cheminées et qu’il met des jouets dans les sabots des petits enfants sages…Tu me diras donc ce que tu as trouvé dans tes sabots… ».
4 janvier 1915 « J’ai vu les boches qui travaillaient dans leurs tranchées. Nous sommes tout près d’eux et je vois très bien briller leurs casques à pointes. »
11 janvier 1915 « Je reviens des tranchées mais je ne suis pas très beau. Je suis couvert de boue et je te ferais peur si tu me voyais dans cet état…»
Moi, je n’aimerais pas être à sa place !
J’ai envoyé une carte avec un aéroplane. Papa m’a répondu le 13 janvier 1915 : «Les aéros des boches s’appellent des taubes, quand nous les voyons nous nous cachons parce qu’ils nous enverraient des bombes »
Un jour il a écrit quelque chose de terrible : "J'ai tué mon premier boche...Je n'étais pas habitué à tuer des personnes à l'école...pas habitué à voir des corps par terre, la première fois ça m'a choqué..."
21 janvier 1915 « J’ai bien reçu ton courrier ce matin. Les mandarines et les dragées étaient délicieuses…Ce soir quand il va faire nuit j’irai encore dans mon terrier, il n’y fait pas bon tu sais car il pleut tous les jours, et puis il y a un boche qui nous envoie toujours des coups de fusil. Nous l’appelons Dominique…Il est je crois dans une des maisons de Beaurains. Ces jours-ci les maisons sauteront alors tu parles, qu’est-ce qu’il prendra le pauvre Dominique !
23 janvier 1915:
« Dominique est toujours caché dans son petit coin et toujours le bougre
nous envoie des coups de fusil »…
25 janvier 1915 : « Nous avons mis le feu dans les maisons de Beaurains. Je crois que Dominique a grillé comme une saucisse ! »
20 août 1915 : « Me voici en pleine forêt, dans
une grande forêt où on ne rencontre plus de loups, mais où il y a beaucoup de
boches.
Je me suis battu plusieurs fois depuis mon arrivée ici et le terrain est
couvert de cadavres boches, de fusils, de sacs, de casques, tout cela parmi les
arbres que les obus ont brisés…. »
On le décrit en 1915 comme
« sérieux, consciencieux et calme, intelligent et énergique, bon officier,
brave ». Il commande une section. C’est un peu comme dans sa classe mais
là c’est la guerre.Il est nommé sergent le 5
juin 1915, puis à titre temporaire sous-lieutenant le 23 juin.
Ses chefs apprécient son
comportement. Le 30 juin 1915, il est cité à l'Ordre de la Brigade : " Se
présente constamment comme volontaire pour chercher les blessés sur le champ de
bataille. S'est particulièrement distingué les 3 et 11 juin en ramenant
plusieurs blessés".
Je suis inquiet car papa est blessé à la main
gauche par un éclat d’obus. Nous sommes le 19 juillet 1915. J’ai peur que sa
plaie s’infecte. Mais quand il envoie sa photo dans son lit et qu’il est
convalescent je me dis qu’au moins il n’est pas dans les tranchées à risquer sa
vie…Papa a encore été blessé mais le 3 janvier 1916, rentré de
convalescence, il est réaffecté à la 7ème compagnie. Il retrouve les
autres officiers du 2ème bataillon : Brunet, le lieutenant et
Colin, l’autre sous-lieutenant comme lui.
Ce qui doit lui remonter le moral c’est que le 31 août, il est cité à l’ordre du régiment : " A dirigé le 30 août 1916, avec bravoure, intelligence et sang-froid une reconnaissance périlleuse de la ligne ennemie ; a rapporté des renseignements précis. "
Les rares moments où papa n’est pas dans les tranchées, c’est qu’il est blessé ou qu’il revient en permission à Dinan. Ce n’est pas assez souvent mais on passe de bons moments. On va au kiosque à musique de la place Duguesclin ou on se promène le long des remparts.
En septembre 1916, le régiment se déplace pour l’offensive de la Somme à Chilly. C’est une terrible bataille et ce n’est pas fini. En octobre, dans le journal de campagne de son régiment, on peut lire que les hommes ont été repoussés dans la tranchée du saucisson et dans le boyau du sommeil. On rejoint une tranchée par un boyau. Dans le Bois de Chaulnes, on a aussi les tranchées du sagouin, du sofa, de Guillaume et les boyaux du sultan, du soupçon...
Ses camarades sont tombés un par un au combat dans les bombardements sur le village de Méharicourt. Brunet est tué le 6 août et Colin blessé grièvement. Alors en octobre 1916 il prend le commandement de la 10ème compagnie du 3ème bataillon; Il reçoit encore des compliments : « d’un jugement droit et sûr, payant de sa personne, montrant l’exemple en toutes circonstances… »
En janvier 1917, pendant 5 semaines, le régiment de papa est au camp de Crèvecoeur-le-grand, dans la neige et le froid. Parfois il fait 10 degrés en dessous de 0. Ensuite il faut aller en Champagne, dans le secteur de Prosnes, au Mont Cornillet.
Le 21 mai 1917, la 10ème compagnie participe à
une nouvelle offensive sous le feu des mitrailleuses allemandes. Elle est en
première ligne. Elle atteint son objectif mais doit se replier devant une
contre attaque immédiate…Elle perd ainsi une bonne partie de son effectif. Tout
le monde ne revient pas, surtout la personne qui compte le plus au monde pour
moi.
Le lieutenant a été tué !
C’est le sous-lieutenant Désiré qui prend provisoirement le
commandement de la compagnie.
Pierre Laveissière, lieutenant, Arthur Lemière, brancardier
et Charles Hamon, soldat de 2ème classe sont les trois témoins de sa
mort sur le champ de bataille à 4
heures, ce 21 mai 1917 à Prosnes dans la Marne.
La tombe de papa est provisoirement creusée, pas très loin
du front, nous sommes allés la voir avec maman. Plus tard on rapportera son
corps à Plancoët…
Dans le journal de Dinan, il y a eu un petit article pour parler de sa disparition….
Le 23 mai, avec 18 officiers et 460 hommes en moins, le
régiment quitte la région des Monts, se repose pendant trois semaines et part
pour Verdun.
L’enfer, toujours l’enfer ! Beaucoup vont tout droit vers la mort !
Maintenant maman s’habille tout en noir.
Je me suis rendu compte plus tard en lisant l'historique du 25ème R.I. que papa était un peu célèbre. On parle de lui au moment de l'attaque du Mont Cornillet le 21 mai 1917: « Pendant quatre heures, malgré l'hécatombe terrible, officiers et soldats rivalisent d'ardeur et de ténacité. Le lieutenant Pillon, commandant la 10ème compagnie, trois fois blessé, continue ses tentatives d'approche jusqu'à ce qu'il soit tué par une balle dans la tête. C'est ce brave qui, la veille, avait répondu à celui qui lui faisait remarquer sa ténacité dans ses reconnaissances personnelles en avant des lignes : " Je ne m'exposerai jamais assez si j'évite la perte d'un seul de mes hommes. »
Le 28 novembre 1919, papa a reçu la Croix de Chevalier de la
légion d’Honneur. Le colonel Rauch,
commandant le 25ème RI, a écrit plein de compliments sur lui….
Il nous reste aussi son grand portrait. C’est un montage que
M.Dubois de Dinan a fait. Il a utilisé une photo d’identité et la médaille a
été ajoutée.
A l’école des garçons, la mairie de Dinan a fait poser une
plaque en marbre pour qu’on se souvienne de ce courageux soldat ….
Peut-être qu’un jour, dans bien longtemps, on se demandera
qui était Pierre Pillon ? Qui leur répondra ?
Les réactions
Vraiment toutes mes félicitations pour cet investissement ….
Le résultat est superbe"
"C'est un très beau travail…. Félicitations, c'est toujours un grand plaisir de voir les hommes revivre ; surtout quand c'est avec un souffle de bienveillance qu'ils reviennent vers nous. L'histoire du récit de cet homme doit certainement être une grande aventure qui marquera les élèves."
Les photos de la cérémonie de remise du
4ème prix départemental
A gauche Jean-Pierre Pillon, au milieu Loïc René Vilbert (directeur de la bibliothèque municipale), M.Lixon (Office des anciens combattants), Richard Fortat
A droite Mme Elisabeth Cassany (conseillère municipale) et Mme Catherine Lechien
La classe de CM2 (Anouck, déléguée de la classe, tient un des cadeaux) .... On aperçoit M. Charles Pasino (conseiller municipal), à l'arrière plan.
Jean-Pierre Pillon devant le portrait de son grand-père
Les livres offerts à la classe pour le 4ème prix départemental
Le Petit bleu 3 juillet 2014
Ces documents ont été envoyés en juillet 2014 par M. Christian Labellie qui a travaillé sur l'histoire de poilus de Pléneuf et en particulier sur celle d'un instituteur, François Bois. Le nom de Pillon est revenu à la surface par un article de presse et M. Labellie a fait le rapprochement avec celui dont parlait François Bois dans ses correspondances. Les deux soldats se connaissaient bien puisqu'ils étaient instituteurs à l'école des garçons de Dinan à la même époque.
Tous nos remerciements à M. Labellie (pour sa transcription), à Michel Grimaud (généalogiste et historien local qui a transmis ces correspondances à M. Labellie) et la famille de François Bois qui nous autorise à publier ces extraits de lettres.
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